Agroforesterie ou agrivoltaïsme ? Entretien avec Fabien Balaguer directeur de l’Association Française d’agroforesterie
Agroforesterie ou agrivoltaïsme ?
Entretien avec Fabien Balaguer
directeur de l’Association Française d’agroforesterie
« Ce sont des idées reçues [la concurrence entre les arbres et les autres végétaux tels la vigne -ndr]. On essaye de nous faire croire que l’on a plus le temps de faire pousser des arbres et donc on met des panneaux parce que l’on met de l’ombre plus vite. Il y a deux visions qui s’opposent. La grosse différence entre l’arbre et le panneau, concerne l’ombre. Avec un arbre vous avez une ombre froide et humide et avec un panneau vous avez une ombre sèche et chaude, il suffit de se mettre sous un arbre et ensuite de se mettre sous un truc métallique et voir la différence. Ensuite il n’ y a qu’à regarder le pouvoir de stockage carbone d’ un panneau, le pouvoir de reconstruction des habitats et de la biodiversité, pareil sur le cycle de l’eau. En fait ce qu’il faut c’est de la photosynthèse et de la transpiration : ce qu’il manque aujourd’hui c’est des nuages si on résume. C’est cela qui laisse penser qu’avec des arbres on peut avoir plus de résultats et surtout à plus long terme. C’est cette différence de paradigme entre des gens qui ne raisonnent pas pareil. On est dans une société qui a le don de la contradiction et qui essaye de faire des panneaux dans les champs et de l’agriculture sur les toits, y a peut être un truc à remettre en ordre. Les industriels ont inventé un truc en essayant de faire passer un cheval de Troie, en essayant de faire croire que cela allait aider l’agriculteur. Je n’y crois pas une seconde du point de vue agriculture durable et du point de vue résolution des problèmes de l’agriculteur à long terme. Alors concernant la concurrence racinaire, c’est un peu une vue de l’esprit, avec notre vision de l’être humain où l’on se fait tous concurrence entre nous, on se dit quand les racines se touche il y a un truc qui va se passer, comme si c’était de l’électricité avec un risque de court-jus. En réalité il y a des gens qui ont excavé un système racinaire de forêt, tout se touche et il y a même des soudures entre les racines entre les arbres et cela ne « disjoncte » pas. Car en fait les racines ont une fonction avant tout d’ancrage, et de nutrition et il se trouve qu’un arbre dans un sol suffisamment profond, grâce à des systèmes de mycorhizes et de vie du sol, l’arbre est capable d’aller prendre ses minéraux et l’eau parfois à plusieurs dizaines de mètres de son système racinaire. C’est cela qui se passe dans des sols fertiles. Quand on analyse les flux de matière, l’on se rend compte que même lorsque les racines se touchent il n’ y a aucun lien avec la concurrence pour les ressources. C’est surtout très fortement corrélés à la taille du réservoir. Dans un sol dégradé, évidemment, quand vous allez mettre plus de monde, la compétition va être plus forte, mais c’est pas du au fait que l’abricotier n’aime pas la vigne, d’ailleurs en terme de mychorises c’est plutôt très complémentaire les rosacés et la vigne. Par contre évidemment si vous mettez cela dans un sol viticole qui sont parmi les sols les plus dégradés, si vous le faites mal, trop vite, trop serré vous pouvez avoir une espèce de choc qui est du au sol dégradé ».
Ajoutons que Jean-Luc Tarantini, arboriculteur du projet PV de Bellegarde porté par AKUO et la MAIF, entre deux louanges pour l’agrivoltaïsme, déclare sans même y prêter attention :« En revanche, elle accumule dans ses réserves énormément d’azote. Nous pensons que le manque de luminosité lui fait craindre de ne pas exister. Elle fait du bois au lieu de faire des fruits »1
Le PV, une panacée pour l’arboriculture ? Revenons à de la véritable agroforesterie. Balaguer précise :
« C’est pour cela que l’agroforesterie ne marche que lorsque l’on fait de l’agronomie autour des arbres. C’est à dire que l’arbre c’est pas une panacée, c’est pas un truc que l’on plante et puis il va refaire le sol et le climat, c’est une plante cultivée dans un contexte où l’on va refaire du sol fertile, donc de la couverture de sol herbacé, des pratiques de régénération de l’humus, etc… Cela nous arrive assez souvent d’accompagner des agriculteurs en leur disant « reconstruisez d’abord du sol et on plantera des arbres dans quelques années, car là si vous les plantez demain, les arbres ne vont pas pousser ». Car un arbre est toujours une plante plutôt de sols fertiles. Cela c’est la dynamique forestière qui nous le dit.
– Est-ce que seuls les panneaux, dans un contexte de sols dégradés, peuvent aider l’agriculture ?
– Cela dépend si l’on démissionne de l’agronomie. Car l’on sait pertinemment que les sols cela se régénère, et plutôt plus vite que ce que l’on croit, car quand l’on a matraqué des sols pendant 50 ans et qu’en 4 ou 5 ans l’on arrive déjà à avoir des résultats, c’est que la nature nous pardonne déjà assez vite. Donc en fait 5 ans, c’est plus long que 6 mois, c’est toujours pareil, l’on est dans une société qui va vite. On est dans un pays où l’agriculture va mal et l’on a un manque d’accompagnement technique de qualité pour sortir de l’ornière. Donc du coup si l’on a un sol dégradé et que l’on considère que c’est une fatalité et que l’on ne pourra jamais revenir en arrière, et c’est comme cela que les agriculteurs résonnent et se font prendre au piège. On leur promet 2000 euros de revenus à l’hectare et par année sur des sols où ils espèrent plus rien, bon beh ils signent… mais cela revient à faire le deuil de l’agriculture durable. C’est pas parce qu’ils auront un revenu électricité que cela ira mieux pour eux. Si on veut s’adapter au changement climatique, il va falloir faire de l’ombre, oui, mais il va falloir aussi amortir le cycle de l’eau, remettre de la biodiversité et surtout remettre le sol en activité, le carbone, l’humus c’est aussi cela qui permet d’amortir les aléas climatiques, et les panneaux, cela ne contribue pas au sujet. En fait cela dépend si l’on veut se donner un sursis de quelques années, ou si l’on veut attaquer les problèmes à la racine. Aujourd’hui toute l’arboriculture française, et la viticulture c’est pareil, est face à des défis agroécologiques de premier ordre. Cela tient tant qu’il y a de l’eau. La seule façon d’amortir le choc, mais là aussi on se donnera peut être un sursis de 30-40-50 ans, car il est certain qu’en terme de résilience, les pratiques agroécologiques de couverture du sol, d’amortissement climatique avec des arbres, de diversification en réduisant la monoculture et la densité de plantation des fruitiers : il est certain que cela apportera plus de sursis que des panneaux qui font de l’ombre chaude et sèche. L’arboriculture aujourd’hui elle est sous perfusion. Sans compter qu’avec ces panneaux qui font des ombrières, on fait les mêmes erreurs qu’avec l’urbanisation. Au début les villages étaient plutôt sur les flancs de collines et on gardait tout ce qui était plat pour faire de l’agriculture. D’ailleurs dans les Pyrénées-Orientales c’est caractéristique, en 25 ans il reste pas grand chose, les terres agricoles ont été construites. Donc c’est toujours pareil, c’est plus simple donc on fait cela comme cela. Mais les panneaux il ne faut pas les mettre sur des terres agricoles, et si elles ne sont plus fertiles, l’on a qu’a travailler pour qu’elles le redeviennent. Je n’arrive pas à comprendre ce genre de stratégie de court terme, dans 25 ans l’on dira « mince pourquoi on l’a fait ». Et c’est pas comme si il n’ y avait aucune autre solution. Si seulement c’était vrai que ces terres elles étaient en péril et que l’on avait besoin de ces panneaux pour pérenniser les terroirs et les cépages, mais en fait c’est archi faux, il y a d’autres solutions avec un coût/ bénéfice plus efficaces ».
*Paroles recueillies par L. Santiago, août 2022 pour le journal L’Empaillé.
1 https://entreprise.maif.fr/actualites/2019/agricultute-bio-maif-transition